En Côte d’Ivoire où le zouglou et le coupé-décalé se disputent depuis de longues années les meilleures scènes, le Rap Ivoire trace ses sillons et rebat toutes les cartes. Tant et si bien que depuis deux années, il est en passe de conquérir le cœur des mélomanes ivoiriens.
Né dans les quartiers chauds des États-Unis d’Amérique dans les années 1970, le rap fait son entrée en Côte d’Ivoire par le truchement des ondes de la radio au début des années 1980. Biberonnés à la culture américaine, les jeunes des milieux urbains s’en emparent les premiers. Constitués majoritairement de jeunes hommes, ces précurseurs ont bâti l’histoire du rap ivoirien en construisant ses fondations à travers des albums, et parfois même avec des morceaux cultes.
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Ces œuvres élaborées par des artistes passionnés et volontaires comme MC Claver, Yves Zogbo Junior, Almigthy, Stézo, Kajeem, Ddf, le trio M.A.M et bien d’autres ont marqué toute une génération de jeunes hommes et femmes. Aujourd’hui devenus adultes, ces jeunes ont trouvé dans la musique rap une réelle inspiration créatrice tant sur le fond, c’est-à-dire les textes, que sur la forme avec des mélodies puisant souvent dans des racines jazz, soul, funk, ragga etc. Si au départ les rappeurs ivoiriens n’ont pas su éviter l’écueil consistant à imiter dans les moindres détails les Américains, leurs prédécesseurs, eux, ont su donner à cette musique une ADN du cru ivoirien.
Ainsi, aux pionniers de la fin des années 1980 et 1990, ont succédé de jeunes rappeurs dont l’art est une adéquation parfaite entre une musique mélodieuse, cadencée tirée du terroir ou des rythmes musicaux urbains du pays et des textes poétiques, revendicatifs ou humoristiques à la sauce ivoirienne. Cette bouffée d’oxygène artistique et identitaire a permis au rap ivoirien labellisé rap ivoire de devenir très rapidement l’une des musiques phares en Afrique subsaharienne.
Dans la liste ci-dessous, réalisée à partir d’un sondage auprès des professionnels et amateurs du rap, nous donnons le top 10 des rappeurs et rappeuses les plus emblématiques du rap ivoire. Garba 50 L’histoire de la chanson ivoirienne est une succession de révélations et de révolutions. En 2006, Sooh et Oli, les deux membres du groupe Garba 50 font irruption sur la scène musicale ivoirienne et chamboulent tout. Le rap qu’ils pratiquent tranche avec tout ce qu’on a entendu jusque-là.
La prose est mutine et incandescente, et les vers sont corrosifs. Les deux artistes font feu de tout bois. En nouchi, argot ivoirien, ou en français classique, ils dénoncent les travers de la société. Le duo pose alors les premières pierres d’un mouvement musical qui va connaître son heure de gloire une décennie plus tard. Sooh et Oli font partie de ces artistes à avoir inventé quelque chose de tout à fait neuf. Le rap ivoire qui s’exporte partout aujourd’hui en Afrique et même un peu en Europe, leur doit beaucoup. Leur succès, plus qu’un succès, fut un triomphe.
Les stations de radio jouent en boucle leurs titres. Mais les deux artistes préfèrent l’anonymat et refusent de se prêter au jeu des apparitions télévisées. Après le succès de leur premier album. Ils disparaissent des écrans radars pour n’en revenir que quelques années plus tard. Sans parvenir à réitérer l’exploit de leurs débuts. Mais ils laissent à leurs successeurs un héritage musical important dont ces derniers en tirent les dividendes.
Billy Billy Avec son groove détonnant et son phrasé typiquement ivoirien, celui qu’on appelle aussi l’enfant de Wassakara (quartier de la commune de Yopougon) fait partie des précurseurs du rap ivoire. Avec «Allons à Wassakara» «Bété a réussi», «Foyer dans foyer», il sera porté en triomphe, va empiler les spectacles et remplir des salles en Côte d’Ivoire et même hors des frontières ivoiriennes. Ses textes étaient appris par cœur par les jeunes et scandés lors de ses concerts.
La musique de Billy Billy qui additionne humour et vérités parfois durs fonctionne comme une main de fer dans un gant de velours qui flagelle les maux et une matraque qui étourdit les défauts de la société.
Nash Avant d’être une vedette de la scène musicale ivoirienne, Nash s’était déjà fait un nom dans le milieu underground du rap dans la ville de Man. Et, au moment où elle se révèle au grand public dans un style particulier, aucune femme ou presque n’a voix au chapitre dans le milieu du rap. Pour se démarquer, elle chante en nouchi, l’argot local.
Et sa reprise du titre « Confessions nocturnes « de l’artiste française Diam’s fait un tabac. Son flow rageur et engagé associé à son activisme verbal lui ouvre les portes d’un univers jusque-là réservé aux mâles. Elle devient la seule représentante de la gent féminine dans cette aventure du rap à la sauce ivoirienne aux côtés du groupe Garba 50 et de l’artiste Billy Billy. Son succès lui vaudra même une collaboration avec le défunt chanteur congolais Papa Wemba.
Didi B Anciennement membre de Kiff no Beat, un collectif d’amis au fort potentiel créatif et artistique, Bassa Zéréhoué Diyilem alias Didi B a démon- tré que seul ou en bande, il peut être une machine à tubes. Après plusieurs singles à succès, il sort en 2022 «History», un album de 16 titres. Ce premier essai d’une carrière solo dont le succès l’a propulsé sur les plus grandes scènes d’Afrique, jusqu’à ce concert qu’il a donné à l’Élysée Montmartre à Paris le 4 février dernier, n’en finit pas de l’imposer comme l’un des artistes les plus importants du rap ivoire.
Didi B a placé la barre tellement haut que pour marcher sur ses pas, ses concurrents doivent désormais courir. Devant l’ampleur de son succès, de nombreuses maisons de disques lui font les yeux doux mais c’est le label du rappeur français Booba qui a eu ses faveurs. Defty C’est avec le titre «Huster» sorti en 2008 avec son groupe «Crac Factory» composé d’étudiants que N’Goran Serge Koko dit Defty ou encore le piège d’agouti signe son acte de naissance dans l’univers musical ivoirien. Après un succès en demi-teinte, il fait le choix d’une carrière solo.
Plusieurs titres dont «Kala-Kala», «Afghanistan»,» Système»… vont le révéler au grand public. Et lorsqu’il sort son deuxième album intitulé «Nostradamus», les mélomanes s’emballent et les critiques le plébiscitent. Le lyriciste porte la prose sur des cimes et son flow rodé le place indiscutablement comme un sérieux prétendant pour le titre de roi du rap ivoire. Suspect 95 Avec « Société suspecte», première pépite extraite de son album à venir, suspect 95 a créé l’ébullition dans le rap ivoire et caracole au sommet des hits-parades.
Dans le titre sur lequel le rappeur franco-congolais Youssoupha a posé sa voix, on retrouve la verve légendaire de Suspect 95, ses saillies percutantes ou plutôt ses punchlines, comme on le dit, dans le jargon des rappeurs. C’est actuellement l’événement musical de ce début de l’année tant et si bien que de nombreux rappeurs, à travers le monde, ont fait des remix de cette chanson dont le clip vidéo revendique près de 2 millions de visionnage sur Youtube en tout juste un mois.
Mc One C’est par une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux en 2015 que Mc One, visage poupin et dents de lait à peine tombées se fait découvrir par les Ivoiriens. Dans cette vidéo, on le voit déjà rapper. Et même, s’il ne maîtrisent pas encore tous les codes de la musique, il récolte un certain succès auprès des mélomanes de sa génération et même chez certains adultes. Produit par Kedjevara Dj, il va enchaîner les titres à succès. Et si ses amours vont pour le rap et le coupé- décalé, c’est le rap qui va l’emporter même s’il n’hésite pas à colorer son rap avec le coupé-décalé.
À côté des poids lourds du rap ivoire, il reste un challenger sérieux qui compte explorer les pistes tracées par ses aînés. Et leur damer le pion grâce à son inventivité et sa créativité. Fior 2 Bior Malgré des titres aux paroles sommaires et peu élaborées, il a gagné sa place sur le podium des meilleurs faiseurs du rap ivoire.
Si les critiques le moquent, les mélomanes l’adulent. Quand les puristes du rap le toisent, ses fans l’admirent. Fior 2 Bior ne répond que d’un seul tribunal : les mélomanes qui se régalent de ses titres tels que «C’est gnomi avec lait qui est bon» ou encore «Godo godo» dont l’écoute même lointaine imprègne durablement les oreilles. Oprah On ne le dira jamais assez : les noms qu’on porte peuvent influencer notre destin. En décidant de la prénommer Oprah en référence à la star américaine des médias Oprah Winfrey, le destin qu’a appelé sur elle ses parents ne pouvait être qu’éclatant.
Diplômé de Droit, c’est en 2015 qu’elle fait son entrée dans le show-business. Dégaine de garçon, textes bien travaillés, flows détonants parfois en parfaite rupture avec le rythme de base des morceaux et une grande technique, Oprah a de quoi faire pâlir de jalousie ses homologues masculins. Sans complexe, elle démontre que le talent n’est pas genré, et qu’à force de travail, les filles peuvent égaler et même surpasser les garçons. Oprah lorgne le trône du rap ivoirien et entend mettre fin au règne sans partage des hommes sur cette musique qui, aux États-Unis, où elle est née, a connu des figures féminines iconiques.
Mosty Voix fluette et silhouette gracile, sous ces dehors fragiles, une fois le micro en main, son débit devient semblable à celui d’une mitraillette. Et si c’est par des vidéos humoristiques qu’elle s’est faite connaître, c’est par sa musique qu’elle a conquis le cœur des mélomanes. La jeune femme, native de la commune de PortBouët, et qui vit désormais dans l’Essonne, au sud de Paris, a mis tous les critiques d’accord sur son talent grâce à son maxi-single « Aya de Didiévi ».
En puisant dans le répertoire des chansons populaires ivoiriennes d’antan, tels «Matiko» de Chantal Taïba ou encore «200% Zoblazo» de Meiway, la jeune artiste a ouvert son art à la diversité pour toucher un public plus large. Preuve qu’elle a gagné le pari, sur son compte Youtube, nouvel étalon de mesure du succès, son titre «Faut danser» revendique un peu moins de 2 millions de visionnage. Et augure des lendemains qui chantent pour la jeune artiste. Si depuis quelques années, le rap ivoire séduit de plus en plus les mélomanes, c’est que les faiseurs de cette musique ont sorti le rap de son ghetto pour le rendre accessible au plus grand nombre.
Grâce à leurs capacités à se renouveler et un grand sens de la créativité, la majorité des rappeurs ivoiriens puisent dans le vivier culturel linguistique de la Côte d’Ivoire. Et nourrissent leurs musiques des autres rythmes musicaux urbains tels que le zouglou, le coupé- décalé, l’afrobeat etc. Et le talent d’une nouvelle génération de beatmakers qui savent saisir l’air du temps contribue énormément au succès du Rap Ivoire.
Fraternité Matin