Le journaliste Hermann Aboa s’est prononcé sur la mesure d’interdiction des motos et tricycles sur certaines voies à Abidjan sur son compte Facebook. Pour lui, cette mesure prise par le District d’Abidjan apparaît comme « une réponse hâtive à des défis complexes ».
L’interdiction des motos et tricycles a Abidjan : Une mauvaise réponse à un vrai problème
Il y a des décisions administratives qui, malgré de bonnes intentions affichées, révèlent une profonde déconnexion avec les réalités sociales. L’interdiction des motos et tricycles sur plusieurs axes d’Abidjan, décision prise par le Gouvernorat du District d’Abidjan, fait malheureusement partie de ces mesures qui cherchent à régler un problème par le symptôme, et non par la racine. Dans une capitale économique où le système de transport peine encore à absorber la demande quotidienne, mettre hors-jeu des milliers de conducteurs et de livreurs relève moins de la régulation que de la maladresse politique.
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DES RAISONS AVANCÉES
Ceux qui soutiennent cette interdiction évoquent souvent la recrudescence des accidents et l’insécurité liée aux agresseurs motorisés. Certes, les attaques à moto existent et les engins à deux et trois sont tres souvent impliqués dans les accidents de la circulation à Abidjan même ailleurs. Mais punir tous les conducteurs pour la faute de quelques dizaines, c’est faire payer à la majorité innocente le crime d’une minorité. L’interdiction brutale, elle, ne règle rien : les criminels et les indisciplinés sur les routes trouveront d’autres moyens tandis que les travailleurs honnêtes, eux, perdront tout.
UN SYSTÈME DE TRANSPORT QUI PEINE DÉJÀ À SATISFAIRE LES BESOINS
Depuis des années, Abidjan connaît une croissance démographique fulgurante, des embouteillages chroniques et un réseau de transport public encore insuffisant. Les projets structurants (BRT, métro, renouvellement des bus) avancent, oui, mais ils n’ont pas encore produit de véritable transformation. Dans cette réalité, les motos et tricycles ont comblé un vide évident :
– Ils desservent les zones enclavées où ni les gbakas ni les woro-woro ne circulent.
– Ils offrent une alternative rapide dans une ville paralysée par les embouteillages.
– Ils pallient l’insuffisance d’un transport public encore loin de répondre aux besoins de près de 6 millions d’habitants.
Interdire sans proposer d’alternative durable, c’est ajouter de la rareté là où il manque déjà tout.
UNE ECONOMIE DE SURVIE BRUSQUEMENT FRAGILISÉE
Il faut être honnête : dans un pays où le chômage et le sous-emploi touchent une grande partie de la jeunesse, les motos et tricycles ont été plus qu’un simple moyen de déplacement. Ils ont été un vrai un filet social, une bouée de survie, une porte de sortie. Des milliers de jeunes ont trouvé dans le transport moto un emploi rapide, accessible et relativement stable. La livraison à domicile, amplifiée par la pandémie et l’essor du e-commerce, repose presque entièrement sur ces conducteurs. Les familles qui survivent grâce à cette activité se comptent désormais par dizaines de milliers. Que deviendront ces hommes et femmes du jour au lendemain ? La mesure ne se contente pas de décongestionner les voies : elle désorganise des vies entières.

Il est étonnant qu’une telle décision ait été prise sans mesurer l’effet domino sur l’économie urbaine. Les plateformes de livraison verront leur capacité opérationnelle réduite. Les petits commerces dépendant des livraisons rapides seront ralentis. Les embouteillages risquent d’empirer avec davantage de véhicules contraints à rester sur les grands axes. Les ménages verront une hausse des coûts logistiques. Dans une ville où chaque minute et chaque franc comptent, la circulation des motos n’est pas un luxe : c’est un rouage essentiel de la productivité.
DES PISTES DE SOLUTION
Une réforme responsable aurait dû commencer par renforcer les transports publics, offrir des lignes supplémentaires dans les zones périurbaines, développer des voies dédiées aux deux-roues, organiser les syndicats de motos-taxis plutôt que les effacer et surtout, rendre effectif le vieux projet de transfert administratif de la capitale politique à Yamoussoukro.
L’interdiction des motos et tricycles à Abidjan apparaît comme une réponse hâtive à des défis complexes. Abidjan n’a pas besoin de moins de mobilité ; elle a besoin de meilleure mobilité. Elle n’a pas besoin de mettre au chômage des milliers de jeunes ; elle a besoin de les intégrer dans une organisation régulée. Elle n’a pas besoin d’interdictions brutales ; elle a besoin de politiques intelligentes et inclusives. Repenser cette mesure n’est pas une faiblesse ; c’est une nécessité pour une ville qui veut avancer sans laisser ses enfants sur le bas-côté.
Hermann Aboa
NDLR : Le titre et l’introduction sont de la rédaction
























