Au cœur du nord de la Côte d’Ivoire, dans le village de Yérétiélé, dans le département de Dianra, une tradition séculaire continue de rythmer la vie communautaire des jeunes : le Wôlôh. Cette danse initiatique, propre aux Gbatôh, un sous-groupe du peuple Sénoufo présent dans les régions du Béré et de la Bagoué, est bien plus qu’une simple performance culturelle : c’est un outil de critique sociale et d’éducation collective.
Organisé tous les sept ans, le Wôlôh réunit des jeunes âgés de 15 à 20 ans, appelés « plabélé », accompagnés de leurs cadets. Ensemble, ils forment une troupe au rôle bien précis : pointer du doigt, sur un ton satirique, les comportements négatifs de leurs aînés, qui sont en phase d’initiation au bois sacré (tcholobélé). Ces derniers sont affublés de sobriquets moqueurs, inspirés de leurs actions, dans le but de les pousser à adopter de meilleures habitudes. Les leads vocaux dénoncent aussi les maux de la société.
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Mais cette « leçon de morale publique » ne se fait pas sans condition. Avant toute mise en scène, des amendes doivent être versées auprès des « tcholobélé » pour obtenir l’autorisation d’exécuter la danse qui dure plusieurs mois. L’ambiance reste cependant bon enfant, ancrée dans l’humour et le respect des codes traditionnels. Le nombre de maîtres de cœur varie en fonction des villages. Ils sont parés d’une tenue particulière tenants chacun une queue de cheval dans la main droite et une canne en fer.
Un jeu d’équilibre entre générations
Le Wôlôh fonctionne également comme un miroir générationnel. Les Nibarlé, aînés des tcholobélé, eux-mêmes anciens initiés soutiennent les jeunes dans leur exercice, parfois dans un esprit de revanche. Ils y voient une manière de maintenir la tradition tout en corrigeant les erreurs d’antan. Ce lien intergénérationnel fort donne au Wôlôh toute sa profondeur.

Mais cette critique sociale prend parfois des allures de compétition. Les tcholobélé, soucieux de protéger leur prestige, essaient d’éclipser les leads vocaux, les figures les plus charismatiques du groupe, pour éviter que leurs critiques ne soient trop percutantes. En réponse, ces derniers s’allient aux sages du village et aux Nibarlé pour faire valoir leur rôle d’ambassadeurs culturels. Car lorsqu’ils brillent, ce sont les couleurs de tout le village qui rayonnent dans la région.
Préserver et transmettre
Le Wôlôh est aussi une école de la relève. En intégrant les cadets de 10 à 14 ans dans l’exercice, les anciens assurent la pérennité de cette tradition. Plus qu’une danse, le Wôlôh est une véritable institution sociale, un vecteur de valeurs et d’identité pour la jeunesse sénoufo.
Dans un contexte où les pratiques culturelles tendent à disparaître sous la pression de la modernité, Yérétiélé, Linguedougou, Diaradougou, Gbatosso, Mirimiri, Sissédougou, etc par leurs engagements dans le maintien du Wôlôh, donnent une leçon de résilience culturelle. Ici, la tradition ne se contente pas de raconter le passé : elle façonne l’avenir.
Karina Fofana