L’auteur, chroniqueur indépendant, le Professeur Nanourougo Coulibaly s’est prononcé sur le récent hommage musical de la diva de la musique ivoirienne, Aïcha Koné à Assimi Goïta, président de la junte militaire au pouvoir au Mali. Selon lui, la chanson de la diva est un cas parmi d’autres. Le natif du département de Dianra fait savoir que c’est peut-être un moyen pour elle de se donner de la visibilité dans un contexte où elle ne brille plus par sa production discographique.
A lire aussi : Aïcha Koné : Biographie de la Diva de la musique africaine
Sur le plan culturel, la vie publique ivoirienne a été secouée récemment par la sortie de l’hommage de la Diva de la musique ivoirienne à Assimi Goïta, chef de la junte malienne. Le contexte de parution de cet hommage marqué par de fortes tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire autour des soldats ivoiriens détenus au Mali a suscité une controverse énorme. Comme toujours, la toile s’est enflammée. Pendant que les uns procèdent à un lynchage médiatique de la diva, les autres célèbrent cette figure de la scène musicale ivoirienne.
En attendant qu’elle donne ses motivations essentielles, je me permets, dans cette chronique sur l’actualité, d’aller au-delà des faits pour analyser cette sortie musicale en l’inscrivant dans le cadre global des relations entre la production artistique et le pouvoir politique avant d’aborder la thématique du panafricanisme qui constitue l’épine dorsale du discours musical de la diva.
Interactions entre discours musical et champ politique : Aicha Koné, un cas parmi d’autres
Il convient de le souligner, la chanson de la diva est un cas parmi d’autres. Tant pour elle-même que pour certains artistes. Salif Kéïta a célébré Sékou Touré avec son titre « Mandjou ». Une belle chanson bâtie sur le principe de la périphrase permettant d’évoquer les qualités et attributs du leader guinéen sans le citer directement. Il l’a fait pour Alassane Ouattara, il y a juste quelques années. Alpha Blondy, le Jagger national a célébré F. H. Boigny pendant que l’enfant de Treichville, Ismaël Isaac, louait Nelson Mandela. La liste est longue.
Il faut dire aussi que tous les artistes ne s’inscrivent pas dans la louange. L’on a encore en mémoire le titre sensationnel de Tiken Jah, « Gouvernement vingt ans », « président on dit quoi » de Yodé et Siro. Mieux, à l’analyse de l’ensemble de leur production (je parle de Yodé et Siro), il se dégage des constantes. De « Tu sais qui je suis » en 1999 à « Président on dit quoi ? » 2020 en passant par « Si tu as choisi voleur », il y a une posture d’artiste engagé et critique à l’égard des gouvernants.
A lire aussi : La chanson d’Aïcha Koné pour Assimi Goita « s’inscrit dans la pure tradition griotique » (Serge Bilé)
Tout semble donc être une question de valeur à défendre. Chacun des titres produits a des valeurs pour socle, en arrière-plan chaque position soutenue, il y a une ou des valeurs à défendre. C’est pourquoi il ne faut pas s’enfermer dans une logique de condamnation des artistes. Il faut plutôt regarder du côté des valeurs défendues et si possible porter la contradiction à ce niveau cela toujours dans un cadre de liberté d’expression et d’opinion.
Que ces choix se fassent sur la base d’une véritable conviction ou par opportunisme, l’idée est qu’un artiste doit défendre des valeurs. Celles-ci peuvent être incarnées par une personnalité, une institution. Aicha se prévaut du titre de panafricaniste. Elle pense que Goïta incarne cette valeur. Elle est libre de la célébrer. C’est peut-être un moyen pour elle de se donner de la visibilité dans un contexte où elle ne brille plus par sa production discographique. Juste une posture.
La question du panafricanisme et la liberté de l’Afrique.
L’hommage de la diva met l’accent sur le combat pour la liberté de l’Afrique, la défense de l’Afrique. C’est une rhétorique bien connue chez nous africains. Elle a l’avantage de mobiliser les foules en jouant sur la mémoire historique et sur le passif de l’esclavage, de la colonisation et de la présence contestée des puissances coloniales et impériales en Afrique.
Mais au-delà de surchauffer des foules et d’obtenir une victoire à l’applaudimètre, que vaut cette rhétorique dans un contexte où chaque africain est arcbouté sur sa souveraineté (relire la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine et de l’Union Africaine) ? Dans un contexte de gouvernance malsaine et de prévarication des ressources publiques ? D’ailleurs, cette Afrique unie dont on nous parle a-t-elle déjà existé ? Ma conviction est que les défis sont ailleurs. C’est mon opinion et chacun est libre de penser ce qu’il veut sur la question. Je respecte par principe la diversité des points de vue.
Sur cette question, je dois dire que je ne suis pas un adepte du panafricanisme de mauvais alois qui clame la défense de l’Afrique le jour et, la nuit, prend en otage des fils de l’Afrique qui exposent leurs vies pour aider d’autres africains à sortir d’une crise qui dure depuis.
Je suis contre ce panafricanisme de la confrontation permanente cachant, en réalité, des tares structurelles, une absence de vision claire sur les véritables enjeux et une incapacité notoire à tenir les promesses faites dont notamment la lutte contre le péril terroriste.
Timing et incohérence de la junte malienne
La levée de bois vert contre la diva est certainement justifiée par le timing de la sortie de son tube hommage mais également de la cohérence entre la rhétorique et les actions du chef de la junte malienne. Cet homme détient des soldats africains en mission de la paix au Mali. Ils y sont pour soutenir des frères africains en difficultés. C’est cela la solidarité : une valeur universelle. Les prendre en otage et exiger une rançon est acte terroriste identique aux actions des groupes qui agissent dans le nord-Mali. Quelles valeurs sous-tendent cette action ?
Nanourougo COULIBALY
Professeur, auteur
Chroniqueur indépendant